Depuis quelques années, les politiques publiques et les acteurs culturels ont pris conscience de la nécessité d’inventer de nouveaux outils de production, de création et de diffusion afin de répondre aux impératifs du changement climatique. En région grand Est, le « Shift Project » ou l’axe 13 de la collaborative témoignent de cette nécessité de transformer les pratiques dans un sens plus éco-responsable. Mais qu’en est-il au sein des compagnies et des processus de création ? Que change la prise en compte du paradigme environnemental dans le développement de nos esthétiques ? Quels rôles peuvent jouer les artistes dans cette transition qui impose peut-être, avant tout, un travail sur nos imaginaires collectifs ?

Le programme de recherche, mené en 2024 et 2025, a pour objectif principal de répondre à cette question.

Il propose de réaliser un bilan des réponses esthétiques apportées par les artistes soucieuses et soucieux d’intégrer l’éco-responsabilité à leur pratique.

Il souhaite également permettre aux artistes impliqués dans des projets de cette nature ainsi qu’à des artistes en formation de bénéficier des méthodes et des acquis récents de la recherche ainsi que des premières initiatives menées dans ce domaine afin de conduire au mieux l’évolution de leurs pratiques artistiques et se préparer à de nouvelles normes de production et de diffusion dans les années à venir.

Description du projet scientifique et artistique

L’objet du projet de recherche est de comprendre comment l’introduction d’une nouvelle « conscience environnementale » ou de critères « d’éco-responsabilité » conduit à un renouveau des esthétiques dans le domaine du spectacle vivant.

L’apparition de ce paradigme ainsi que celle de nouvelles normes environnementales sont parfois pressenties comme une contrainte ou une orthodoxie qui viendraient réduire la liberté artistique. Après les réductions imposées par la « comptabilité budgétaire » viendraient de nouvelles réductions liées cette fois-ci à une « comptabilité environnementale » : celle de l’empreinte carbone ou du coût écologique des productions. Cette menace ne nous semble pas complètement fictive et pose de nombreuses questions à la filière, bien résumées par David Irle dans Décarboner la culture (2021) ou Daniel Urrutiaguer dans Des expériences artistiques au prisme du développement durable (2018). Malgré tout, et sans perdre de vue ces questions, le programme de recherche s’intéresse aux artistes faisant le choix de devancer la contrainte ou de se l’approprier pour en faire un élément de création, proposant du même coup une évolution des contenus et des formes du spectacle vivant.

Deux axes d’analyse retiennent particulièrement l’attention : celui des « productions imaginaires » et celui des « productions matérielles » :

– Axe 1 : « Productions imaginaires » (2024)

Alors que la tradition occidentale du théâtre, depuis Aristote, est essentiellement attachée à la « mimèsis d’une action (…) faite par des personnages » (Poétique), les esthétiques modernes à contemporaines tendent au contraire à faire du cadre, et non de l’action elle-même, l’objet central de la représentation. Ce qui était jusqu’alors relégué au second plan (espace, environnement, paysage), devient donc au contraire essentiel, entraînant une modification en profondeur des écritures dramatiques et scéniques. On assiste ainsi aujourd’hui à une multiplication de propositions relevant de l’éco-littérarité, voire de la zoo-littérarité, au sein desquelles les non-humains occupent une place de plus en plus importante. Il s’agit donc avant tout de constituer un bilan de ces écritures nouvelles, mais aussi de comprendre comment elles conditionnent les autres champs esthétiques (mise en scène, scénographie, création costumes…).

– Axe 2 : « Productions matérielles » (2024 et 2025)

Les principes de l’éco-conception, promus notamment par l’ADEME (Devenez plus performants grâce à l’écoconception | Entreprises | Agir pour la transition écologique | ADEME) mais aussi, plus récemment, par l’Union des scénographes (Éco-conception Archives – Union des Scénographes (uniondesscenographes.fr), conduisent à de nouveaux processus de fabrication des éléments matériels du spectacle vivant (costumes et scénographie, notamment). Ces critères engagent un certain nombre de contraintes nouvelles, comme l’abandon de certains matériaux ou la mise au premier plan des pratiques de la « réduction » ou du « réemploi », qui conditionnent une nouvelle manière de concevoir les pratiques professionnelles. Au sein de cet axe du programme de recherche, il s’agit donc de recenser les solutions pratiques proposées par les artistes et les artisans, et surtout de montrer comment ces nouveaux procédés de conception entraînent avec eux une modification des esthétiques et des pratiques artistiques.

Références bibliographiques

Una Chaudhuri (dir.), « Theater and Ecology », Theater, vol. 25, n°1, Duke University Press, 1994.

David Irle, Anaïs Rœsch et Samuel Valensi, Décarboner la culture, Paris, Éd UGA, coll. « Politiques culturelles », 2021.

Bonnie Marranca, Ecologies of Theater : Essays at the Century Turning, New York, PAJ Publications, 1996.

Theresa J. May et Larry Fried, Greening Up Our Houses : A Guide to a More Ecologically Sound Theater, New York, Drama Books, 1994.

Julie Sermon, Morts ou vifs. Pour une écologie des arts vivants, Paris, Éd. B42, coll. « Culture », 2021.

Daniel Urrutiaguer (dir.), « Des expériences artistiques au prisme du développement durable », Registres : revue des études théâtrales, Paris, Éd. Presses Sorbonne nouvelle, Hors-série n°5, 2018.

Comité scientifique

Eliane BEAUFILS (Paris 8), Yann Calbérac (URCA), Emma Merabet (Lyon 2), Nicolas Murena (ENS de Lyon).

Partenariats

La Fileuse, friche artistique de Reims ; Le Cellier, Reims ; O’Brother Company